Le jeudi 20 avril 2017, dans le cadre d’une épreuve de contrats
publics, j’ai eu avec mes camarades à commenter un arrêt du Conseil d’État
traitant notamment des conditions de passation d’une convention d’occupation du
domaine public. La cour administrative d’appel et le Conseil d’État étaient manifestement en
désaccord sur la qualification d’un acte passé par une personne publique et
par conséquent sur l’application des obligations de transparence et de
publicité. Le sujet était pour le moins d’actualité puisque quelques heures
avant d’entrer dans la salle d’examen, une ordonnance portant réforme de la
propriété des personnes publiques était publiée au Journal officiel et réformait les conditions
de passation de ces conventions.
Cette ordonnance a répondu à une attente de plusieurs mois notamment
depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin II du 9 décembre 2016 dont l’article
34 habilitait le gouvernement à :
« prendre par
ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la
présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi tendant à moderniser
et simplifier, pour l'Etat et ses établissements publics :
1° Les règles d'occupation
et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des
obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à
certaines autorisations d'occupation et de préciser l'étendue des droits et
obligations des bénéficiaires de ces autorisations ;
2° Les règles régissant
les transferts de propriété réalisés par les personnes publiques, en vue
notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence
préalables aux opérations de cession et de faciliter et sécuriser leurs
opérations immobilières. »
Par l’ordonnance du 19 avril 2017, l’habilitation n’a été que
partiellement utilisée[1].
En effet seul le point 1°) a été traité par l’ordonnance relative à la
propriété des personnes publiques. Pour bien comprendre l’objet de cette
importante réforme il faut en comprendre l’enjeu avant de voir les éléments
nouveaux qu’elle apporte.
On rappelle ici brièvement que le domaine public immobilier « est
constitué des biens appartenant [à la personne publique] qui sont soit affectés à l'usage direct du
public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent
l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service
public »[2]. Il inclut
également les accessoires des biens du domaine public immobilier, c’est-à-dire
les biens « concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine
public »[3]. Pour être
concret, il peut s’agir, par exemple, d’un espace de parking propriété d’une
commune sur lequel un « marché de fruits et légumes » s’organise
toutes les semaines. À partir de cet exemple simple on voit sans mal que le
domaine public peut permettre à des personnes privées de mettre en oeuvre leur
activité économique voire de s’imposer comme une nécessité pour l'exercice de l’activité de
certaines autres. Elles ne sont cependant pas une source de profit seulement
pour les personnes privées puisque « toute occupation ou utilisation du
domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L.1 donne
lieu au paiement d'une redevance (…) »[4].
Il y a donc un double enjeu lié à cette réforme que le pouvoir
règlementaire a souhaité prendre en main. Tout d’abord il faut souligner
l’importance du développement de la valorisation économique du domaine public à
l’oeuvre depuis plusieurs années. Ainsi, pour certaines personnes privées, il
peut être nécessaire d’y avoir accès pour l’exercice de leurs activités économiques, pour d’autres il peut s’agir d’une simple opportunité susceptible
d’apporter un bénéfice substantiel. Quoi qu’il en soit, le domaine public est
désormais un lieu important de l’activité économique.
Le domaine public constitue potentiellement une véritable manne
financière tant pour les personnes privées que pour les personnes publiques. Toutefois, aucune procédure ne venait encadrer la passation des conventions d’occupation du domaine public jusqu’à présent. Le principe demeurait, en effet, celui posé par le Conseil d’Etat dans son célèbre arrêt Stade Jean Bouin[5]
Il avait alors mis en avant qu' « aucune disposition
législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne
publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une
autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du
domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation
d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la
dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel ». En
d’autres termes, il n’existe aucun principe ni texte obligeant les personnes
publiques à mettre en place de procédures de publicité en matière
d’autorisations d’occupation domaniale. Il y a donc un champ libre à
l’arbitraire des personnes publiques. Pourtant comme la doctrine le souligne, les fondements ne manquaient en réalité pas pour poser des exigences de
publicité et de transparence en matière de conventions d’occupation domaniale[6].
Les arguments les plus forts venaient ainsi, d’après certains auteurs, du droit de
l’Union européenne. En effet, rien ne permettait de penser que les exigences
posées en 2000 par l’arrêt Telaustria[7]
ne pouvait pas s’appliquer. Par ailleurs dans un récent arrêt Promoimpressa[8],
la CJUE a donné l’impulsion pour le mouvement de réforme. Dans cette affaire qui
concernait l’Italie, elle a estimé que les conventions d’occupation domaniale
qui visent le domaine privé comme le domaine public doivent faire l’objet de
mesures de publicité et de transparence.
Il y avait donc un double enjeu juridique et économique important.
Une réforme dans le sens d’une meilleure prise en compte des obligations de
transparence et de publicité était très attendue. L’ordonnance qui fait l’objet
du présent article a répondu à l’essentiel des attentes.
Les dispositions du chapitre 1 de l’ordonnance visent ainsi
« l’occupation et l’utilisation privative du domaine public. » L’article 3 ajoute à la suite l’article
L2122-1 du Code général de la propriété des personnes publique un nouvel article L2122-1-1 disposant que :
« Sauf dispositions
législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l'article L. 2122-1
permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une
exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure
de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de
transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats
potentiels de se manifester. »
Il faut souligner d'ors et déjà que l’ordonnance est plus restrictive
que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet l’arrêt Promoimpressa, à
l’image du droit de l’Union européenne ne fait pas la différence entre domaine
public et domaine privé alors que l’ordonnance ne vise que la gestion du
domaine public. Il reste donc à voir ce que le contentieux donnera comme
positionnement sur ce point précis. Le critère principal pour l’application des
exigences de publicité et de transparence est donc fonctionnel. Elles
s’imposent dès lors que le but de l’utilisation du domaine public est
l’exploitation économique. Il s’agit ainsi d’empêcher la personne publique de
produire des distorsions de concurrence. Des limites ont toutefois été posées
pour donner de la souplesse de gestion aux personnes publiques. L’alinéa 2 de
l’article L2122-1-1 prévoit deux cas qui ne dispensent que partiellement la
personne publique du respect de ses obligations. Si l’utilisation est de courte
durée ou que le nombre d’autorisation n’est pas limitée alors elle n’est tenue
que d’une publicité préalable permettant aux personnes intéressées de se
manifester.
En plus de cela, deux articles sont insérés dans le Code général de
la propriété des personnes publiques pour préciser ces hypothèses.
L’article L2122-1-2 prévoit que la personne publique est dispensée
des procédures lorsque :
1°) la délivrance du titre
s’insère dans le cadre d’une opération ayant déjà donné lieu à la mise en place
de ces même procédures
2°) la délivrance du titre
est conférée par un contrat de la commande publique ayant déjà donné lieu à une
procédure de sélection conforme aux obligations de transparence et de
publicité.
3°) il y a urgence
4°) il s’agit de la
prolongation seule d’un autorisation existante, alors il y a une limite de
durée.
L’article L2122-1-3 prévoit d’autres cas d’exceptions en faisant une
liste non exhaustive comme l’indique l’emploi de l’adverbe
« notamment ». La matrice de cette série d’exceptions tient au
caractère « impossible ou non justifié » de la mise en oeuvre des
obligations. L’ordonnance met ainsi en avant l’hypothèse dans laquelle une seule personne
est en droit d’utiliser la dépendance ou lorsque des impératifs liés à la
sécurité publique justifient l’absence d’une telle procédure.
Par suite, l’ordonnance fixe une durée limitée destinée à « ne
pas restreindre ou limiter la libre concurrence au delà de ce qui est
nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux
investis, sans pouvoir excéder les limites prévues, le cas échéant, par la
loi »[9].
On trouve une intéressante transposition du critère posé en matière de
concession par la jurisprudence administrative : « Lorsque les
installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation
tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant
de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale
d'amortissement des installations mises en oeuvre (...) ; qu'il résulte de ces
dispositions que la durée normale d'amortissement des installations susceptible
d'être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement
attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et
d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la
nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des
tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de
l'amortissement comptable des investissements. »[10]
Il s’agit donc d’un critère bien connu du droit des contrats publics destiné à
empêcher de générer des situations de rente en faveur de personnes privées.
En matière de conventions d’occupation domaniale, l’ordonnance
effectue donc une bonne mise à jour du régime applicable à leur passation. Elle
intègre bien les exigences européennes tout en laissant une marge de mouvement
et de la souplesse aux personnes publiques. De nombreuses communes de petites
tailles pourraient en effet se trouver en difficulté face à la lourdeur de
procédures qui risqueraient de nuire au bon fonctionnement de l’administration.
Il n’en demeure pas moins que deux faiblesses peuvent être relevées.
Comme cela avait été suggéré au début de l’article, les cessions de biens
domaniaux ne sont pas visées par l’ordonnance alors que la loi Sapin II donnait
expressément habilitation pour les réformer aussi. Par ailleurs, dans un très
bon article publié sur Le blog
Droit administratif, les auteurs relèvent qu’il demeure une incertitude sur
les modalités concrètes de mise en oeuvre des obligations de publicité et
transparence. Le niveau de publicité et les procédures de sélection ne sont en
effet pas précisés par l’ordonnance ni par référence à un autre texte. Il est
seulement question du fait que « l’autorité
compétente organise librement une procédure de sélection préalable etc »[11].
D’après les auteurs de cet article il faut ajouter les incertitudes liées au
contentieux puisque les voies de recours ne sont pas précisées. À titre
d’exemple, il semble ainsi a priori
que le champ du référé précontractuel ne couvre pas les conventions
d’occupation domaniale. Il reste donc à attendre une modification du Code de la
Justice administrative pour écarter cette zone d’ombre à moins que le Conseil
d’état n’en prenne l’initiative faisant oeuvre de création.
François Curan
[1] P.Terneyre et R.Noguellou,
AJDA 2017 p 1102
[2] Article L2111-1 CGPPP
[3]
Article L2111-2 CGPPP
[4]
Article L2125-1 du CGPPP
[5]
Conseil d’État, 3 décembre 2010, Ville de Paris – Association Stade Jean Bouin
n°338272 et n°338527
[6]
P.Terneyre et R.Noguellou, AJDA 2017 p 1102
[9]
Ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques,
Chapitre 1, article 4
[10]
Conseil d’état, 11 août 2009, Société maison Comba, n°303517
[11] Ordonnance
du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, Chapitre 1,
article 3
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