jeudi 13 juillet 2017

Un point sur l'ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques



       Le jeudi 20 avril 2017, dans le cadre d’une épreuve de contrats publics, j’ai eu avec mes camarades à commenter un arrêt du Conseil d’État traitant notamment des conditions de passation d’une convention d’occupation du domaine public. La cour administrative d’appel et le Conseil d’État étaient manifestement en désaccord sur la qualification d’un acte passé par une personne publique et par conséquent sur l’application des obligations de transparence et de publicité. Le sujet était pour le moins d’actualité puisque quelques heures avant d’entrer dans la salle d’examen, une ordonnance portant réforme de la propriété des personnes publiques était publiée au Journal officiel et réformait les conditions de passation de ces conventions.



       Cette ordonnance a répondu à une attente de plusieurs mois notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin II du 9 décembre 2016 dont l’article 34 habilitait le gouvernement à  :
« prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi tendant à moderniser et simplifier, pour l'Etat et ses établissements publics :
Les règles d'occupation et de sous-occupation du domaine public, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable applicables à certaines autorisations d'occupation et de préciser l'étendue des droits et obligations des bénéficiaires de ces autorisations ;
2° Les règles régissant les transferts de propriété réalisés par les personnes publiques, en vue notamment de prévoir des obligations de publicité et de mise en concurrence préalables aux opérations de cession et de faciliter et sécuriser leurs opérations immobilières. »
       Par l’ordonnance du 19 avril 2017, l’habilitation n’a été que partiellement utilisée[1]. En effet seul le point 1°) a été traité par l’ordonnance relative à la propriété des personnes publiques. Pour bien comprendre l’objet de cette importante réforme il faut en comprendre l’enjeu avant de voir les éléments nouveaux qu’elle apporte.

       On rappelle ici brièvement que le domaine public immobilier « est constitué des biens appartenant [à la personne publique] qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public »[2]. Il inclut également les accessoires des biens du domaine public immobilier, c’est-à-dire les biens « concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine public »[3]. Pour être concret, il peut s’agir, par exemple, d’un espace de parking propriété d’une commune sur lequel un « marché de fruits et légumes » s’organise toutes les semaines. À partir de cet exemple simple on voit sans mal que le domaine public peut permettre à des personnes privées de mettre en oeuvre leur activité économique voire de s’imposer comme une nécessité pour l'exercice de l’activité de certaines autres. Elles ne sont cependant pas une source de profit seulement pour les personnes privées puisque « toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L.1 donne lieu au paiement d'une redevance (…) »[4].


       Il y a donc un double enjeu lié à cette réforme que le pouvoir règlementaire a souhaité prendre en main. Tout d’abord il faut souligner l’importance du développement de la valorisation économique du domaine public à l’oeuvre depuis plusieurs années. Ainsi, pour certaines personnes privées, il peut être nécessaire d’y avoir accès pour l’exercice de leurs activités économiques, pour d’autres il peut s’agir d’une simple opportunité susceptible d’apporter un bénéfice substantiel. Quoi qu’il en soit, le domaine public est désormais un lieu important de l’activité économique.
       Le domaine public constitue potentiellement une véritable manne financière tant pour les personnes privées que pour les personnes publiques. Toutefois, aucune procédure ne venait encadrer la passation des conventions d’occupation du domaine public jusqu’à présent. Le principe demeurait, en effet, celui posé par le Conseil d’Etat dans son célèbre arrêt Stade Jean Bouin[5] Il avait alors mis en avant qu' « aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance ; qu’il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel ». En d’autres termes, il n’existe aucun principe ni texte obligeant les personnes publiques à mettre en place de procédures de publicité en matière d’autorisations d’occupation domaniale. Il y a donc un champ libre à l’arbitraire des personnes publiques. Pourtant comme la doctrine le souligne, les fondements ne manquaient en réalité pas pour poser des exigences de publicité et de transparence en matière de conventions d’occupation domaniale[6]. Les arguments les plus forts venaient ainsi, d’après certains auteurs, du droit de l’Union européenne. En effet, rien ne permettait de penser que les exigences posées en 2000 par l’arrêt Telaustria[7] ne pouvait pas s’appliquer. Par ailleurs dans un récent arrêt Promoimpressa[8], la CJUE a donné l’impulsion pour le mouvement de réforme. Dans cette affaire qui concernait l’Italie, elle a estimé que les conventions d’occupation domaniale qui visent le domaine privé comme le domaine public doivent faire l’objet de mesures de publicité et de transparence.
       Il y avait donc un double enjeu juridique et économique important. Une réforme dans le sens d’une meilleure prise en compte des obligations de transparence et de publicité était très attendue. L’ordonnance qui fait l’objet du présent article a répondu à l’essentiel des attentes.

       Les dispositions du chapitre 1 de l’ordonnance visent ainsi « l’occupation et l’utilisation privative du domaine public. »  L’article 3 ajoute à la suite l’article L2122-1 du Code général de la propriété des personnes publique un nouvel article L2122-1-1 disposant que :
« Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l'article L. 2122-1 permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. »
       Il faut souligner d'ors et déjà que l’ordonnance est plus restrictive que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet l’arrêt Promoimpressa, à l’image du droit de l’Union européenne ne fait pas la différence entre domaine public et domaine privé alors que l’ordonnance ne vise que la gestion du domaine public. Il reste donc à voir ce que le contentieux donnera comme positionnement sur ce point précis. Le critère principal pour l’application des exigences de publicité et de transparence est donc fonctionnel. Elles s’imposent dès lors que le but de l’utilisation du domaine public est l’exploitation économique. Il s’agit ainsi d’empêcher la personne publique de produire des distorsions de concurrence. Des limites ont toutefois été posées pour donner de la souplesse de gestion aux personnes publiques. L’alinéa 2 de l’article L2122-1-1 prévoit deux cas qui ne dispensent que partiellement la personne publique du respect de ses obligations. Si l’utilisation est de courte durée ou que le nombre d’autorisation n’est pas limitée alors elle n’est tenue que d’une publicité préalable permettant aux personnes intéressées de se manifester.
       En plus de cela, deux articles sont insérés dans le Code général de la propriété des personnes publiques pour préciser ces hypothèses.
       L’article L2122-1-2 prévoit que la personne publique est dispensée des procédures lorsque :  
1°) la délivrance du titre s’insère dans le cadre d’une opération ayant déjà donné lieu à la mise en place de ces même procédures
2°) la délivrance du titre est conférée par un contrat de la commande publique ayant déjà donné lieu à une procédure de sélection conforme aux obligations de transparence et de publicité.
3°) il y a urgence
4°) il s’agit de la prolongation seule d’un autorisation existante, alors il y a une limite de durée.
L’article L2122-1-3 prévoit d’autres cas d’exceptions en faisant une liste non exhaustive comme l’indique l’emploi de l’adverbe « notamment ». La matrice de cette série d’exceptions tient au caractère « impossible ou non justifié » de la mise en oeuvre des obligations. L’ordonnance met ainsi en avant l’hypothèse dans laquelle une seule personne est en droit d’utiliser la dépendance ou lorsque des impératifs liés à la sécurité publique justifient l’absence d’une telle procédure.

       Par suite, l’ordonnance fixe une durée limitée destinée à « ne pas restreindre ou limiter la libre concurrence au delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis, sans pouvoir excéder les limites prévues, le cas échéant, par la loi »[9]. On trouve une intéressante transposition du critère posé en matière de concession par la jurisprudence administrative : « Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en oeuvre (...) ; qu'il résulte de ces dispositions que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements. »[10] Il s’agit donc d’un critère bien connu du droit des contrats publics destiné à empêcher de générer des situations de rente en faveur de personnes privées.

       En matière de conventions d’occupation domaniale, l’ordonnance effectue donc une bonne mise à jour du régime applicable à leur passation. Elle intègre bien les exigences européennes tout en laissant une marge de mouvement et de la souplesse aux personnes publiques. De nombreuses communes de petites tailles pourraient en effet se trouver en difficulté face à la lourdeur de procédures qui risqueraient de nuire au bon fonctionnement de l’administration.
       Il n’en demeure pas moins que deux faiblesses peuvent être relevées. Comme cela avait été suggéré au début de l’article, les cessions de biens domaniaux ne sont pas visées par l’ordonnance alors que la loi Sapin II donnait expressément habilitation pour les réformer aussi. Par ailleurs, dans un très bon article publié sur Le blog Droit administratif, les auteurs relèvent qu’il demeure une incertitude sur les modalités concrètes de mise en oeuvre des obligations de publicité et transparence. Le niveau de publicité et les procédures de sélection ne sont en effet pas précisés par l’ordonnance ni par référence à un autre texte. Il est seulement question du fait que « l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable etc »[11]. D’après les auteurs de cet article il faut ajouter les incertitudes liées au contentieux puisque les voies de recours ne sont pas précisées. À titre d’exemple, il semble ainsi a priori que le champ du référé précontractuel ne couvre pas les conventions d’occupation domaniale. Il reste donc à attendre une modification du Code de la Justice administrative pour écarter cette zone d’ombre à moins que le Conseil d’état n’en prenne l’initiative faisant oeuvre de création.

François Curan





[1] P.Terneyre et R.Noguellou, AJDA 2017 p 1102
[2] Article L2111-1 CGPPP
[3] Article L2111-2 CGPPP
[4] Article L2125-1 du CGPPP
[5] Conseil d’État, 3 décembre 2010, Ville de Paris – Association Stade Jean Bouin n°338272 et n°338527
[6] P.Terneyre et R.Noguellou, AJDA 2017 p 1102
[7] CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, aff C-324/98
[8] CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpressa srl, c-458/14
[9] Ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, Chapitre 1, article 4
[10] Conseil d’état, 11 août 2009, Société maison Comba, n°303517
[11] Ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, Chapitre 1, article 3

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