vendredi 24 mars 2017

Droit pénal du mois – février 2017



Le mois de février 2017 a vu l’aboutissement, après plus d’un an de négociation au Parlement, de la loi du 27 février 2017 qui vient (enfin) consacrer la réforme sur la prescription en matière pénale.

De plus, la chambre Criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt permettant de revenir sur une ordonnance (définitive) de saisie et confiscation d’un bien.

Enfin, il a été nécessaire de discuter de la compétence des juridictions pénales françaises pour connaître de l’affaire des « biens mal acquis » suite à la saisie de la Cour Internationale de Justice.



L’extension des délais de prescription de l’action publique en matière pénale par la loi du 27 février 2017


La prescription se définit comme un mode légal d’acquisition ou d’extinction de droit. Autrement dit, passé un certain délai la prescription acquisitive permet d’acquérir un droit, et la prescription extinctive d’éteindre un droit. Le 16 février 2017, le Parlement a (enfin) adopté la proposition de loi portant réforme de la prescription pénale. Ce texte adopté après plus d’un an de débat, porte sur la prescription de l’action publique en matière de délit et de crime. Cette loi a été publiée au Journal officiel le 27 février 2017 (pour lire la loi).

Cette loi consacre plusieurs jurisprudences, notamment pour les infractions occultes ou dissimulées où le point de départ du délai de prescription sera établi le jour de la révélation de l’infraction (le fait pour le ministère public d’avoir connaissance de l’infraction permet alors de faire démarrer le délai de prescription). Néanmoins, pour éviter que certains délits ou crimes ne soient imprescriptibles, le législateur pose un délai maximum de 12 ans (pour les délits) et 30 ans (pour les crimes) après la date de commission de l’infraction.

Le point de désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat était du à un amendement ajouté par les sénateurs qui souhaitaient allonger le délai de prescription en matière de presse (de 3 mois à 1 an) pour les actes commis sur Internet. Allonger les délais de prescription revient à restreindre la liberté d’expression, puisque cela permet de porter à la connaissance des juridictions un plus grand nombre d’affaires.

Enfin, le doublement des délais de prescription en matière de délit et de crime va permettre d’augmenter le nombre d’affaires porté à la connaissance de la justice. Néanmoins, étant donné les faibles moyens de la justice, il est nécessaire de se demander si cet allongement des délais de prescription ne permettrait pas de réguler dans le temps le flux des dossiers portés à la connaissance des tribunaux [1].

  

 La remise en cause de l’existence d’une décision de remise d’un bien à l’AGRASC


L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) est un établissement public de l’Etat à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la justice et du ministre chargé du budget (Article 706-159 du code de procédure pénale). Cette institution a été créée par la loi du 9 juillet 2010 (n°2010-768). L’Agence a pour mission de centraliser et d’améliorer le traitement judiciaires des saisies et des confiscations en matière pénale (Livre IV, titre XXX du code de procédure pénale). L’agence est administrée par un conseil d’administration dont le président est un magistrat de l’ordre judiciaire nommé par décret (article 706-162 du code de procédure pénale).

La Cour de cassation a dû apporter des précisions sur la requête en restitution d’un bien saisi, alors même qu’une ordonnance (définitive) avait statué sur la remise de ce même bien à l‘AGRASC. Lors d’une information ouverte contre M et Mme X des chefs de prêts de main d’œuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire, prêt illicite de main d’œuvre, marchandage, blanchiment, la chambre d’instruction, a rejeté la demande de restitution de véhicules (confirmant ainsi le jugement du juge d’instruction). La chambre de l’instruction a considéré que l’ordonnance  de remise à l’AGRASC, ayant fait l’objet d’un appel déclaré irrecevable (29 mars 2016), mais qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation est devenu définitive.

La chambre Criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 février 2017 va alors considérer que « le juge saisi par le propriétaire d’un bien meuble placé sous main de justice d’une requête en restitution de ce bien est tenu de statuer sur son bien-fondé indépendamment de l’existence d’une décision, fût-elle définitive, de remise à [l’AGRASC] en vue de son aliénation ». 

 L’affaire des biens mal acquis, la compétence des juridictions françaises affirmée


Au cours des mois qui vont s’écouler nous allons revenir sur l’affaire des biens mal acquis, il s’agira de comprendre ensemble ce qui s’est déroulé jusqu’à présent.

Le procès de Teodoro Nguema Obiang Mangue dit Teodorín a réellement débuté lundi 2 janvier 2017 à Paris. Le prévenu est poursuivi pour blanchiment d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics, abus de confiance et corruption. En 2012, la perquisition d’un immeuble de l’avenue Foch avait mis en évidence le train de vie de Teodorín Obiang. Le juge d’instruction estime que ce patrimoine est évalué à plus d’une centaine de millions d’euros. Ce patrimoine ne pourrait provenir des revenus officiels de M. Obiang. Il s’agirait, alors, d’un détournement de fonds publics. La première question qui se pose est de savoir s’il est possible pour la justice française de juger une affaire mettant en jeu le fils du président de Guinée équatoriale et vice président depuis le 22 juin 2016.

Le droit français combine plusieurs principes permettant que la justice française connaisse d’une affaire. Ainsi, il est nécessaire de s’intéresser au principe de territorialité. Conformément à ce principe, la loi pénale française s’applique à toutes les infractions commises sur le territoire de la République. Ce principe est consacré à l’article 113-2 du Code pénal. Il convient de préciser que l’alinéa 2 de cet article énonce que l’infraction est réputée commise sur le territoire dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur le territoire de la République.

Dans l’affaire des « biens mal acquis », certains biens (notamment un hôtel particulier de 4000 mètres carrés dans XVIe arrondissement de Paris) présent sur le territoire français ont été acquis par de l’argent illicite provenant de détournement d’argent public. Ces faits peuvent être considérés comme un recel de détournement d’argent public (article 321-1 du code pénal). Ainsi, il y a un délit qui a été consommé au sein même du territoire français.

Les juridictions françaises sont alors compétentes pour connaître de cette affaire. Il convient alors de se demander pourquoi cette affaire a fait couler autant d’encre. La raison est simple, elle vient de la persévérance de la défense de M. Obiang (fils) qui refuse d’admettre cette compétence au nom des principes de Droit International. La République de Guinée équatoriale a déposé (le 25 septembre 2012) au Greffe de la Cour internationale de Justice (CIJ) une « Requête introductive d’instance comportant demande de mesures conservatoires», qui tend notamment à l’annulation, par la France, d’actes de poursuite et d’instruction dirigés à l’encontre de M. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la République de Guinée équatoriale (père), et de M. Teodoro Nguema Obiang Mangue (fils), ministre guinéen de l’agriculture et des forêts, actuel vice-président de la République de Guinée équatoriale. 
Dans ce document, la Guinée équatoriale fait valoir que ces actes de procédure violent les principes d’égalité entre Etats, de non-ingérence, de la souveraineté et du respect de l’immunité de juridiction pénale. Dans sa «demande de mesures conservatoires», la Guinée équatoriale appelle en particulier la Cour à « faire ordonner la restitution des objets et immeubles appartenant à la République de Guinée Equatoriale» et saisis par les magistrats français dans le cadre de l’instruction. Il s’agit, en l’espèce, d'un hôtel particulier à Paris, qui semblerait être le local abritant la mission diplomatique équato-guinéenne en France. La France refuse de lui accorder l’immunité conférée à de tels lieux en vertu de la convention de Vienne, il y a ainsi un risque d’intrusion (les perquisitions). La CIJ a donc considéré qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable au droit de l’inviolabilité des locaux diplomatiques de la Guinée équatoriale, et une impossibilité de retour au statu quo anteLa CIJ ne répond pas sur la compétence française, permettant à l’instance de se tenir comme prévu en juin 2017. Néanmoins, elle considère à l’unanimité que « la France doit, dans l’attente d’une décision finale en l’affaire, prendre toutes les mesures dont elle dispose pour que les locaux présentés comme abritant la mission diplomatique de la Guinée équatoriale au 42 avenue Foch à Paris jouissent d’un traitement équivalent à celui requis par l’article 22 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, de manière à assurer leur inviolabilité ».


Mahbouba Goul 
Étudiante en Master 2  Droit pénal et sciences criminelles à Paris X. 






[1] Georges Fenech, homme politique.




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