Dans un précédent article le droit européen de la concurrence a été défini comme l’ensemble des règles qui encadrent et protègent le fonctionnement concurrentiel du marché intérieur.
Sans prendre de risque, on peut en déduire qu’il s’adresse à tous les opérateurs qui sont situés et/ou interviennent sur ce marché. Il s’agit d’empêcher tout comportement de ces opérateurs pouvant fausser la concurrence sur le marché intérieur.
En s’inspirant du
classicisme de Smith, N. Petit
définit la concurrence comme « un comportement individuel par lequel
chaque opérateur essaye de pousser ses avantages et l’emporter sur ses
rivaux. »[1] (note de bas de p / page
119).
La théorie économique néo-classique attribue cinq
caractéristiques principales à la concurrence dite pure et parfaite :
- Présence d’un grand nombre de producteurs et de consommateurs (hypothèse dite d’atomicité du
marché)
- Indifférenciations des biens proposés sur le marché (hypothèse dite d’homogénéité)
- L’information est parfaite et les agents en disposent (hypothèse de transparence du marché)
- Liberté d’entrer et sortir sur le marché pour les acheteurs et producteurs (Hypothèse de liberté
d’entrée)
- Mobilité parfaite des facteurs de production (Hypothèse d’absence de coûts de
transport)
Toutefois ces hypothèses sont jugées éloignées de la réalité du fonctionnement des marchés et il est difficile de les envisager toutes respectées. C’est pourquoi le droit européen de la concurrence et notamment la CJUE font bien plus souvent référence à la notion de « concurrence efficace ». Dans l’arrêt Métro c/ Saba rendu le 25 octobre 1977[2], la CJUE la définit comme la dose de concurrence nécessaire pour que soient réalisés les objectifs du traité.
Dans le souci de
maintenir un ordre concurrentiel, il
faut donc lutter contre tout comportement qui induirait une atteinte à l’ordre
concurrentiel. Deux catégories d’agent peuvent nuire à cet ordre
concurrentiel : l’État et les entreprises.
Lorsque son intervention
est trop importante, l’État nuit à l’ordre concurrentiel en
déséquilibrant la compétition entre entreprises. Par exemple, des
subventions données à une entreprise pour soutenir sa production réduisent ses
coûts et lui permettent donc de produire à moindre coût la même quantité. Elle
dispose en conséquent d’un avantage sur les autres agents de ce même marché.
Par ailleurs, une
entreprise peut aussi déséquilibrer le jeu de la concurrence. Lorsqu’elle
dispose d’un trop grand pouvoir de marché l’ordolibéralisme assimile une
entreprise à une autorité administrative. Elle peut ainsi imposer des
prix très élevés, orienter la production ou adopter d’autres comportements
anticoncurrentiels.
En outre, l’application
du droit européen de la concurrence pose un autre problème concernant son champ
d’application géographique. En effet, les entreprises européennes ne sont pas
les seules à intervenir sur le marché intérieur. Des pratiques
anticoncurrentielles peuvent être organisées dehors du marché intérieur. Qu’en
est-il de la compétence des autorités européennes ? Dans quelles conditions
y-a-t-il application du droit européen de la concurrence ?
L’application ratione personae
On parle d’application ratione
personae à propos de l’application aux opérateurs. Les opérateurs privés sont les
cibles principales du droit européen de la concurrence. Toutefois, les
opérateurs publics sont aussi visés dans le cadre de l’interdiction des aides
d’État.
L’opérateur privé par
excellence est l’entreprise. Toutefois il convient de préciser que la notion
d’entreprise en droit européen de la concurrence ne concerne pas seulement les
entreprises privées au sens le plus classique du terme. Qu’est-ce donc qu’une
entreprise pour le droit européen de la concurrence ?
L’entreprise en théorie
économique
D’un point de vue
économique, Jacques Généreux, dans Économie politique t.1 Microéconomie [3], définit l’entreprise
comme « une institution qui rassemble et combine entre eux un certain
nombre de facteurs de production en vue de produire des biens ou des
services. » Cette définition présente l’intérêt de ne présumer ni
de la forme juridique ni de son statut de public ou privé. Pour l’économiste il
s’agit purement d’une unité de production de biens et de services.
L’entreprise en droit
français
En droit français, l’entreprise
recouvre ainsi des réalités très différentes du point de vue de leur régime. Le
contrat de société (article 1832 ss du Code civil) et l’entrepreneur individuel
à responsabilité limitée (Article L526-6 ss du Code de commerce) démontrent
cette variété et sont des entreprises. En outre, du point de vue du droit
français, une association au sens de
la loi 1901 n’est pas une entreprise à sa déclaration même s’il peut y avoir
requalification par la suite si la nature de l’activité l’impose.
L’entreprise en droit
européen de la concurrence
Le droit européen de la
concurrence diverge en ce point du droit français. Dans un arrêt Höfner et
Elser rendu le 23 avril 1991 par la CJCE [4], la qualification
d’entreprise est faite indépendamment du statut juridique et au seul regard de
l’accomplissement d’une activité économique autonome. Le 4 mars 2003 dans
un arrêt FENIN [5] la CJUE définit
l’activité économique comme consistant à « offrir des biens ou des
services sur un marché donné ». Il s’agit d’une acception plus large et
que la simple approche par la forme de l’entité exerçant l’activité et ainsi
plus proche de la réalité. Une association au même titre qu’une société peut
être qualifiée d’entreprise au sens du droit européen de la concurrence. Ainsi
les articles 101 et 102 TFUE s’appliquent aux
entreprises privées et caractérisent les infractions d’entente et d’abus de
position dominante. En outre, l’article 106 TFUE pose le principe
d’application du droit européen de la concurrence aux entreprises publiques.
La
qualification d’entreprise est écartée dans deux situations : soit l’entreprise
exerce des prérogatives de puissance publique soit l’entreprise exerce une
activité sociale basée sur le principe de solidarité nationale. L’exercice
de prérogatives de puissance publique a été mis en avant comme critère écartant
la qualification d’entreprise dans un arrêt Eurocontrol rendu le 19 janvier
1994[6] par la CJUE. En matière
d’activités sociales, la CJUE a posé le principe dans son arrêt Poucet et
Pistre rendu le 17 février 1993[7]. Dans ce dernier cas, il est
nécessaire que 2 conditions soient remplies : d’une part, l’activité
doit être gouvernée par le principe de solidarité nationale et d’autre part,
elle doit être soumise à supervision de l’État. En dehors des cas visés par ces
arrêts, les entités visées sont des entreprises auxquelles le droit européen de
la concurrence s’appliquera.
Dans la mesure où le régime applicable aux
entreprises publiques et aux Services économiques d’intérêt général est
particulier, il ne sera pas détaillé dans cet article. Il s’agit simplement de
montrer qu’il s’applique par principe à ces entités au même titre qu’aux
entreprises privées.
Le droit européen de la
concurrence et les États
Les États sont aussi
visés par l’article 107 TFUE sur le marché intérieur et son fonctionnement
concurrentiel. L’État ne doit pas fausser la libre concurrence selon le droit communautaire en
accordant des « aides (…) ou au moyen de ressources d'État sous quelque
forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence (…)
favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». Il
s’agit là du régime des aides d’État. Pour caractériser une aide d’État on
admet la nécessaire réunion de deux critères essentiels : d’une part, il doit y
avoir un avantage économique attribué à une entreprise et d’autre part, le financement
doit provenir des ressources de l’État. Par suite, le régime fixe des
conditions dans lesquelles certaines aides peuvent être considérées compatibles
avec le marché intérieur, mais ce régime n’est pas l’objet du présent article.
L’application ratione loci
Pour ce qui est du champ
d’application géographique, on parle
d’application ratione loci. Il s’agit de caractériser l’affectation du
commerce entre États membres. Le principe a été posé dans un arrêt Gründig
rendu le 13 juillet 1966 par la CJCE : il y a affectation du commerce
entre États membres dès lors qu’il y a mise en cause de manière directe ou
indirecte, actuellement ou potentiellement de la liberté du commerce entre
États membre dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs
d’un marché unique entre États. C’est l’application du principe de
minimis lex non curat. En effet, les traités ont pour but la protection
du marché concurrentiel au niveau européen. Il est donc nécessaire que
l’opération visée par les autorités affecte de manière sensible les flux
commerciaux entre au moins deux États.
La restriction engendrée
par l’opération visée doit par conséquent être interne à l’Union Européenne
pour déclencher l’application du droit européen de la concurrence. Dans les lignes directrices de la
commission « relatives à la notion d’affectation du commerce », la Commission
fait référence aux pratiques « susceptibles d’avoir un niveau minimal
d’effets transfrontaliers à l’intérieur de la communauté. ». De plus,
« c'est l'accord qui doit être susceptible d'affecter le commerce entre
États membres. Il est indifférent que, considérée isolément, chaque partie de
l'accord, y compris les restrictions du jeu de la concurrence pouvant découler
de l'accord soient susceptibles de le faire. »
En conséquence, des
entreprises dont le siège est hors de l’UE mais intervenant sur le marché
intérieur sont susceptibles d’être poursuivies par la Commission. Dès lors que
l’entreprise intervient sur le marché intérieur, elle est soumise au droit
européen de la concurrence.
Le droit européen de la
concurrence bénéficie d’une application plus large qu’on ne peut le penser. En
effet, les acteurs pour lesquels il applique sont nombreux et ne se réduisent
pas aux multinationales. Les États font notamment l’objet d’une surveillance
constante de la Commission.
François.
[1] Nicolas
Petit, Droit européen de la concurrence, Domat, p119
[2] CJCE, 25
octobre 1977, Métro c/ Saba, aff 26-76
[3] Jacques
Généreux, Economie politique t1 : Microéconomie, Hachette
superieur, 2 ème édition 1995.
[4] CJCE, 23
avril 1991, Höfner et Elser, aff C-41/90
[5] TUE, 4 mars
2003, FENIN, T-319/99
[6] CJCE, 19
janvier 1994, Eurocontrol, C-364/92
[7] CJCE, 17
février 1993, Poucet et Pistre, aff jointes C-159/91 et C-160/91
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