Alors même qu’elle a généré beaucoup
d’agitation dans le cadre de son élaboration, la réforme du droit des
obligations semble, depuis son entrée en
vigueur effectuée le 1er octobre 2016, se faire plus discrète. Il
ne faudrait pas pour autant interpréter cette discrétion comme signifiant que
la problématique a perdu tout intérêt juridique, bien au contraire, le meilleur
reste à venir.
Au-delà des principaux changements de la
réforme dont vous avez pu prendre connaissance grâce aux multiples actualités
juridiques, j’ai décidé de vous présenter une vision plus spécialisée de la réforme, celle qui a trait à son impact
sur le droit du travail.
Comme son intitulé l’indique, le présent
article a pour objectif de sensibiliser
les juristes sur les changements effectifs ou prospectifs de la réforme sur le
droit du travail. Il s’agit principalement d’éléments destinés à nourrir
une réflexion juridique et qui seront susceptibles d’être utilisés dans le
contentieux du droit du travail au cours de prochaines années pour faire
évoluer l’état du droit.
Promesse de contrat et promesse
d’embauche
La promesse unilatérale fait désormais
l’objet d’une définition textuelle inscrite au nouvel article 1124 du Code
civil. Ce dernier prévoit, entre autres, que les éléments essentiels du contrat
en question doivent être déterminés. Une telle exigence n’est pas nouvelle et
avait déjà été posée par la jurisprudence pour la promesse d’embauche.
La
nouveauté réside dans l’abandon de la célèbre jurisprudence « Consorts
Cruz » [1]qui avait posé la
règle selon laquelle la rétractation du promettant faisait obstacle à la
rencontre des volontés, rendant par conséquent l’exécution forcée impossible,
la seule sanction envisageable étant alors la sanction par équivalent avec
l’octroi de dommages et intérêts.
Désormais,
l’article 1124 alinéa 2 du Code civil prévoit que la sanction de la révocation
d’une promesse de contrat peut consister en une exécution forcée dudit contrat.
Ainsi, en droit du travail, l’employeur qui
se serait rétracté d’une promesse d’embauche avant la levée de l’option du
bénéficiaire pourrait alors être contraint d’honorer sa promesse et de procéder
à l’embauche du salarié.
La cession de contrat de droit commun et
la cession du contrat de travail
L’article
1216 nouveau du Code civil consacre la cession conventionnelle de contrat en posant comme
conditions, entre autres, un écrit ad validitatem et le consentement
du cocontractant cédé, exprimé soit en amont, soit au moment de la cession.
La
cession conventionnelle existe également en droit du travail, mais elle ne
bénéficie d’une assise textuelle que pour un certain nombre d’hypothèses
réduites, fixées à l’article
L.1224-1 du Code du travail. En dehors de ces hypothèses, la Cour de cassation a dégagé un régime jurisprudentiel de la cession
conventionnelle de contrat, régime faisant souvent utilisation de la technique
de la novation, requérant l’accord du salarié pour toute cession du contrat
de travail. Cette technique semble
toutefois méconnaître la finalité de la cession du contrat de travail, qui
s’accompagne le plus souvent d’une volonté de continuer l’exécution du contrat
de travail précédant dans des conditions au moins similaires si ce n’est
identique, en maintenant le plus souvent l’ancienneté et les avantages dont
bénéficiait le salarié.
Le
nouvel article 1216 pourrait désormais donner à la chambre sociale de la Cour
de cassation une nouvelle assise textuelle en la matière, permettant au
salarié d’accepter par avance une mobilité intragroupe sans que soit nécessaire
la rupture de son contrat de travail, permettant ainsi le maintien des
avantages et de l’ancienneté dont il bénéficiait avec l’employeur précédant.
Nullité du contrat de droit commun et
nullité du contrat en droit du travail
L’ordonnance de réforme du droit des
contrats consacre deux nouveautés en
matière de nullité.
La première est celle inscrite à l’article
1178 du Code civil permettant aux
parties contractantes de constater elles-mêmes la nullité d’un contrat.
La seconde est l’action interrogatoire inscrite à l’article 1183 du Code civil, applicable immédiatement à tous les
contrats en cours au 1er octobre 2016 et qui offre maintenant la
possibilité à une partie d’interroger l’autre
partie sur sa volonté soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans
un délai de six mois à peine de forclusion.
L’action interrogatoire pourra ainsi
bénéficier à l’employeur pour presser le
salarié d’exercer l’action en nullité ou de renoncer à son droit de critique en
confirmant l’acte juridique porteur de vice. Si une telle technique était
approuvée par la jurisprudence elle pourrait alors trouver à s’appliquer de
façon intéressante en matière de nullité d’une clause de non-concurrence ou de
convention de forfait-jours.
Imprévision et modification/changement des
conditions du contrat de travail
L’intégration de l’imprévision dans le
droit commun des contrats pourrait jouer un rôle important en matière de modification et de changement des
conditions du contrat de travail, tant du point de vue de l’employeur que
du point de vue de l’employé. En effet, l’article 1195 nouveau du Code civil fait
référence à un simple « changement de circonstances »,
supposément plus facile à caractériser que le bouleversement de circonstances
exigé face au juge administratif ; il n’est donc pas exclu que le
simple changement des conditions de travail puisse entrer dans la qualification
de « changement de
circonstances », là où la modification du contrat de travail
relèverait davantage du bouleversement.
Le salarié pourrait ainsi invoquer la survenance d’une contrainte
familiale nouvelle et impérieuse pour tenter d’abord d’obtenir de l’employeur
la révision de la clause de mobilité, et, en cas d’échec, demander au juge
la révision du contrat.
Sous réserve d’une approbation par la
jurisprudence, il serait également possible d’envisager l’hypothèse où
l’employeur, souhaitant élargir la portée de la clause de mobilité, proposerait
au salarié d’en réadapter la portée, et en cas de refus, en demanderait alors
la révision au juge.
Les clauses du contrat de travail à
l’épreuve de la qualification des clauses abusives
L’article 1171 nouveau du Code civil
dispose désormais que « dans un
contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre
les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal
du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».
À
supposer que le contrat de travail entre dans la qualification de contrat
d’adhésion telle que posée par l’article 1110 du Code civil (« Le contrat d’adhésion est celui dont les
conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance
par l’une des parties »), de nombreuses conséquences contentieuses
pourraient alors être envisagées.
Ainsi certaines clauses qui étaient déjà
dans le collimateur de la chambre sociale de la Cour de cassation pourraient
désormais être considérées comme abusives, telles que la clause de renonciation unilatérale à la clause de non-concurrence.
Ainsi que son nom l’indique, cette clause octroie la faculté à
l’employeur de décider unilatéralement de libérer le salarié de son obligation
de non-concurrence. Elle peut être prévue contractuellement ou
conventionnellement.
La
Cour de cassation encadre très strictement cette faculté de renonciation, car elle place
le salarié dans l’incertitude quant à l’étendue de sa liberté de travailler.
Ainsi l’employeur qui entend renoncer
unilatéralement à la clause de non-concurrence doit en principe le faire lors
de la décision de rupture[2].
Dans un arrêt du 2 décembre 2015[3], la Cour de cassation a jugé que la clause de non-concurrence qui réserve à
l’employeur la faculté de renoncer à tout moment, avant ou pendant la
période d’interdiction aux obligations qu’elle fait peser sur le salarié, doit
être annulée dans son ensemble « en
raison de l’incertitude dans laquelle elle laisse le salarié quant à l’étendue de
sa liberté de travailler ».
Ces diverses solutions jurisprudentielles
s’inscrivent dans le cadre d’une hostilité avérée à l’égard des clauses de
renonciation unilatérale à la clause de non-concurrence, clauses qui sont ainsi susceptibles d’être prochainement considérées
comme abusives sur le fondement des nouvelles dispositions introduites dans
le Code civil.
Dans le cadre des nouvelles dispositions
introduites dans le code civil et tenant à la répression des clauses abusives,
la position jurisprudentielle de la Cour de cassation eu égard à ces clauses de
variabilité pourrait également évoluer dans un sens plus restrictif.
Interprétation in favorem du contrat d’adhésion et clauses imprécises du contrat
de travail
L’article 1190 nouveau du Code civil dispose :
« dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier
et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ».
Dès lors, dans l’hypothèse où le contrat
de travail serait qualifié de contrat d’adhésion, la Cour de cassation
pourrait-elle toujours considérer que la clause du contrat de travail
déterminant le lieu d’exécution du travail n’a que valeur informative à défaut
d’information plus précise[4]
? Ne devrait-on pas alors interpréter la
clause indiquant le lieu de travail à l’encontre de l’employeur et donc, par
opposition, en faveur du salarié ? Ainsi une telle clause n’aurait
plus valeur indicative mais contractuelle, et la modification du lieu de
travail entraînerait modification du contrat de travail nécessitant l’accord
exprès du salarié.
Les
solutions applicables à la modification de lieux de travail pourraient ainsi
évoluer et une modification de la jurisprudence n’est pas inenvisageable.
Dépendance en droit commun et dépendance
en droit du travail
Intégrée dans les dispositions relatives
aux vices du consentement, la violence par abus de dépendance économique fait
son apparition à l’article 1143 nouveau du Code civil selon lequel « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de
dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un
engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et
en tire un avantage manifestement excessif ».
La réforme du droit des contrats consacre
ainsi la notion dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation
en 2002[5],
mais qui n’avait jusque-là reçu que peu d’application. Pourtant les hypothèses d’application en droit du
travail sont multiples et ce à tous les stades de l’exécution du contrat de
travail.
Au
stade de la conclusion du contrat de travail, le vice de violence par abus de
dépendance devra être apprécié avec pudeur afin de ne pas basculer dans un vice
de faiblesse que le législateur n’a finalement pas voulu consacrer, car, ainsi
que le relève Monsieur le professeur Grégoire Loiseau, « l’état de nécessité [est] potentiellement présent dans de
nombreuses situations contractuelles, chacun étant en état de nécessité de se
loger, de travailler »[6].
Au stade de l’exécution, seraient
ainsi dans le collimateur la conclusion des conventions de forfait-jours, ou
les avenants modifiant le montant de la rémunération, sa structure, la durée du
travail. Au stade de la rupture,
l’abus de l’état de dépendance pourrait concerner certaines ruptures
conventionnelles dont l’employeur aurait pris l’initiative sans que le salarié
n’ait réellement pu s’y opposer. Serait également visée la transaction conclue
postérieurement à l’homologation de la rupture conventionnelle et par laquelle
le salarié renoncerait à son droit d’agir en contestation de ladite rupture.
Ainsi, en fonction de la position adoptée par la
jurisprudence, la violence par abus de dépendance pourrait gagner une place
considérable en droit du travail.
L’actualité jurisprudentielle en droit du
travail sera donc certainement très riche au fur et à mesure de l’application
de la réforme du droit des contrats. Ainsi, et à l’instar des propos
introductifs de cet article, nous pouvons affirmer que le meilleur de la
réforme reste à venir.
Christophe-Arnaud Célénice - Doctorant, diplômé du Master 2 Recherche en Droit social de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, juriste au cabinet Flichy-Grangé Avocats.
[1] Cass.
civ. 3e ; 15 déc. 1993 ; pourvoi n° 91-10.199.
[2] Cass.
soc. 13 mars 2013, pourvoi n° 11-21.150.
[3] Cass.
soc. 2 déc 2015, pourvoi n° 14-19.029.
[4] Cass.
soc. ; 3 juin 2003, pourvoi n°01-40.376 : «Mais attendu que la mention du lieu de travail dans le contrat de
travail a valeur d'information, à moins qu'il ne soit stipulé par une clause
claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce
lieu ».
[5] Cass.
civ 1e 3 avril 2002, pourvoi n°00-12.932.
[6] Grégoire Loiseau, Les vices du consentement,
Contrats Concurrence Consommation n° 5, mai 2016, dossier 3, LexisNexis.
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