Par l’arrêt du 30 juillet 2015, Section
française de l’OIP (Observatoire International des Prisons) et Ordre des avocats au barreau de Nîmes, le
Conseil d’Etat (CE) a statué au sujet de la surpopulation carcérale de la
maison d’arrêt de Nîmes. Celle-ci compte 192 places, et abritait 354 détenus au
1er juillet 2015, soit un taux d’occupation de 186% ! Parfois,
trois détenus sont présents dans une cellule, avec un matelas à même le sol, ou
sur une armoire retournée en guise de lit. L’OIP a ainsi saisi le CE d’une
requête en urgence. Il met le doigt sur la surpopulation carcérale chronique, l’état
d’insalubrité, et l’accès aux soins insuffisant. Il s’agit d’une atteinte aux
droits fondamentaux des détenus. L’OIP a été rejoint dans son action par l’ordre
des avocats de Nîmes.
Le CE a ordonné à l’administration
pénitentiaire d’améliorer les conditions d’installation des détenus durant la
nuit pour que ceux-ci ne dorment plus sur des matelas à même le sol. Il a
également demandé d’engager au plus vite des travaux de prévention des risques
incendies, d’améliorer l’accès des détenus aux produits d’entretien des
cellules et à des draps et couvertures propres. Le CE a malheureusement dû
rejeter les autres demandes car son
office limite son intervention à la prescription de mesures « urgentes »,
susceptibles d’être ordonnées dans de très brefs délais. Mais le juge des référés peut-il contraindre l’administration pénitentiaire
à enlever les matelas au sol en 48 heures ? Cette mesure ne sera sûrement
pas appliquée tout de suite …
A la suite de cet
arrêt, Christiane Taubira a reconnu l’existence de « conditions indignes
de détention » dans certaines maisons d’arrêt en France, en raison de la
surpopulation carcérale. Elle a précisé qu'un programme de construction ainsi que des
programmes de sécurisation et de rénovation des établissements sont en cours.
Trois nouvelles prisons sont crées en 2015, et la rénovation de la prison de la Santé (réputée être la pire de France) a débutée. Elle a rappelé que la
population carcérale a augmenté de 35% sur les dix dernières années. Or cela ne
correspond pas à l’évolution démographique ni même à la hausse de la délinquance.
En ce sens, il y aurait selon elle un problème qu’ils sont en train de régler
par l’individualisation de la peine et la contrainte pénale. Le cas de surpopulation carcérale en France
est à mette en relation avec le taux de détention. Ce taux correspond au
rapport du nombre de détenus sur 100 000 habitants.
En 2012, ce taux était en France de 113. La France se situe donc dans la moyenne européenne. Pour la même année, six Etats
membres de l’UE dépassent le seuil de 200 personnes (Lituanie, Lettonie,
Estonie, République Tchèque, Pologne, Slovaquie), tandis que huit se situent
sous le seuil de 100 détenus (Finlande, Slovénie, Suède, Danemark, Chypre et
Pays-Bas). Cela souligne qu’il n’y a pas un excès de détenus en France. Toutefois, ce pays fait partie des « mauvais élèves » de l’Union
européenne concernant son taux d’occupation des prison, de 118,3% en 2012. Il y a donc bien un problème. Seulement 10
Etats membres sur 28 dépassent le seuil de 100%. Les seuls pays de l’UE « pires » que la France à
ce sujet sont la Hongrie (141,8%), Chypre (122,7%), la Grèce (136,5%) et la Belgique
(122,7%). Il faut toutefois être optimiste. A l’échelle mondiale,
aucun Etat membre de l’Union ne fait partie des 50 pays ayant le
plus fort taux d’occupation des prisons (les pires sont le Bénin (363,6%), les Comores
(343,3%) et le Salvador (325,3%)).
Ce phénomène dépend beaucoup
du budget moyen alloué à la direction de l’administration pénitentiaire par
habitant. or, en cette conjoncture économique difficile, le peuple ne souhaite pas que des sommes importantes soient allouées au bon fonctionnement des prisons. En outre, le corps social n’accepterait pas que les détenus
puissent mieux vivre que la catégorie sociale la plus défavorisée de la
société. Toutefois, il est nécessaire d’adapter le parc pénitentiaire à la politique
pénale pour une meilleure prise en charge des détenus. En France, la politique pénale est de plus en plus répressive, en raison notamment des
discours politiques sur l’insécurité. Toutefois,
le parc pénitentiaire a à peine évolué. Les politiques françaises ont été
orientées depuis 2000, et surtout depuis la loi Perben II de 2004, vers le
développement des aménagements de peine sous écrou (placement sous surveillance
électronique, placement à l’extérieur, semi-liberté). Cela s’est malheureusement avéré
largement insuffisant.
Pour résoudre ces problèmes de financement,
un député français UMP, Elie Aboud, a proposé cette année de faire payer les détenus, à l’exclusion
des mineurs, des majeurs en attente de jugement, et des personnes qui n’ont pas de
ressources. La somme serait progressive en fonction du revenu. Selon lui, cela
permettrait d’obtenir à peu près 280 à 300 millions d’euros chaque année. 50%
contribuerait à la construction et l’embellissement des prisons, et 50% pour
tout ce qui est pédagogique, désendoctrinement, formation et réinsertion. Défendant
sa proposition de loi, il rappelle qu’un détenu coûte 100e par jour.
La contribution représenterait donc environ 10% de ce qu’il coûte. Il rappelle
également que lorsqu’un détenu sort de prison, il touche une allocation
temporaire qui varie entre 513 et 1541 euros par mois, selon votre situation. Le
député pose ainsi la question suivante : « est-ce normal quand on est
prisonnier avec plusieurs enfants de toucher 50% de plus qu’un smicard qui se
lève à 7h du matin et qui rentre à 19h ? ». S’il faut garder un
regard critique sur ces arguments, il faut admettre que cela relativise la
critique inverse du « pauvre prisonnier ».
La proposition de loi a été validée, réputée constitutionnelle. Le bureau de l'assemblée nationale devra décider de l'inscrire à l'ordre du jour ou non.
L’OIP est contre. Marie
Cretenot, juriste à l’OIP, a jugé que ce n’était pas une solution. Selon elle,
le député « ignore la réalité des
conditions de détention et véhicule de fausses idées ». Elle accuse
une « démarche populiste ». « La
vie en prison a déjà un coût pour les détenus. Ils dépensent en moyenne 200
euros par mois pour l'achat de produits d'entretien, de certains aliments, pour
téléphoner à leurs famille, s'acheter des habits, ou encore louer une
télévision, un frigo ». Elle ajoute que « la majorité des gens
en détention sont là pour de courtes peines et, souvent, ils ont encore un
loyer à l'extérieur, sans compter d'éventuelles charges familiales à assumer […]
Ce n'est pas facile de trouver un emploi en prison. En moyenne, un détenu sur
quatre travaille, souvent à temps partiel. Au maximum, ils touchent 45% d'un
smic horaire brut, soit 1,92 à 4,23 euros de l'heure. Le salaire moyen est de
360 euros par mois au maximum. Ils n'arrivent quasiment pas à mettre de côté». En effet, le droit du travail ne
leur est pas appliqué (je vous invite à lire cet article à ce sujet). Marie
Cretenot ajoute que ce sont des contribuables comme les autres, et qu’ils
cotisent à la retraite par exemple. Ainsi, les détenus seraient taxés deux
fois avec cette mesure. Elle conclue que cette mesure risque « de faire payer un peu plus les
familles des détenus qui sont déjà dans des situations souvent de précarité, à
cause des frais d'avocat, de déplacements qui se cumulent».
Libre à vous de vous faire une opinion sur cette proposition de loi, et sur comment la France devrait régler son problème de surpopulation carcérale. J'aimerai beaucoup connaitre votre avis sur ce débat qui dure depuis des années. N'hesitez pas non plus à nous partager vos arguments, pour ou contre cette proposition.
- Raphaelle
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