
Les
termes du débat ont été posés dans un premier article sur le statut des travailleurs de l'économie collaborative et les problèmes posés, tels que la concurrence déloyale ou encore la perception des cotisations sociales. Dans cette deuxième partie, il convient d'étudier le contentieux actuel et les évolutions législatives concevables.
Le contentieux actuel en France
En 2015, l’URSSAF d’Ile-de-France a engagé deux
procédures à l’encontre d’Uber afin de faire reconnaitre les chauffeurs de
cette plateforme comme des salariés plutôt que des indépendants. L’enjeu est
de les faire relever du régime général pour le paiement des cotisations
sociales. L’URSSAF a tout d’abord requalifié les travailleurs de cette
plateforme de salariés au titre de la Sécurité sociale et réclamé par la suite
les cotisations correspondantes, notamment des arriérés. L’entreprise a refusé
de payer. S’en est suivi une procédure devant le Tribunal des affaires de
sécurité sociale (TASS) et un procès-verbal de travail dissimulé pour
détournement de statut transmis au procureur de la République de Paris. Le parquet
peut désormais ouvrir une enquête préliminaire. La procédure devrait prendre plusieurs
années avant que le litige ne soit définitivement jugé. Toutefois, comme le
mentionne l’avocat Cédric Jacquelet[1],
la qualification de travail dissimulé parait lourde et « disproportionnée, lorsqu’il s’agit de requalifier des relations
contractuelles dans le cadre desquelles des cotisations ont été payées par les
travailleurs indépendants ».
Par la suite, l'Urssaf a été attaqué par les chauffeurs
VTC afin d’obtenir le remboursement de cotisations qu'ils ont payés à la
plateforme. Ces derniers auraient payés deux fois des cotisations :
à la plateforme, et à l’URSSAF. Le cabinet d'avocats Homère a ouvert une class action, contestant qu’un
même revenu puisse être prélevé deux fois pour la même finalité. Les chauffeurs
ont jusqu’au 30 juin 2016 pour confier au cabinet la défense de leurs intérêts.
En parallèle, l’association Actif VTC a initié au début
du mois de juin une action collective en justice contre Uber cette fois-ci, et non contre
l’URSSAF. L’association demande la requalification des contrats en contrat de
travail. La particularité est que cette action serait financée par une
campagne de crowfunding, disponible sur le site Kickstarter.
Ainsi, le contentieux est riche au sujet de la
qualification de contrat de travail des travailleurs de la plateforme collaborative
Uber. Ceci fait écho aux actions déjà intentées aux Etats-Unis mentionnées dans
la première partie de cette rubrique. Ces questions juridiques se posent pour l’ensemble
des plateformes collaboratives, et montre le développement probable du
contentieux ces prochaines années. Afin de guider les juges du siège, et éventuellement faciliter le travail de l’URSSAF, le
législateur doit intervenir.
La commission des
finances du Sénat a rendu un rapport le 17 septembre 2015 qui propose d'organiser une déclaration automatique
des revenus grâce aux plateformes et d'instituer une
franchise générale unique de 5 000 euros par an. Sous ce seuil, les revenus
seraient totalement exonérés, et au-dessus, le droit commun s'appliquerait (impôt
sur le revenu, prélèvements sociaux etc.), le cas échéant sous le statut
d'auto-entrepreneur. La finalité de ce seuil est de faire perdurer l'économie
du partage tout en imposant ceux qui en font une véritable activité
commerciale. L'impôt serait donc moins élevé,
mais plus sûrement collecté.
Dans le cadre de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2016, le Sénat a adopté un amendement instaurant cette franchise. Toutefois, il s'agirait finalement d'un abattement de 5 000 euros sur les revenus bruts relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Sont éligibles à cet avantage les revenus qui font l’objet d’une déclaration automatique sécurisée par les plateformes, comparable à la « déclaration pré-remplie » des salariés. L’avantage fiscal est ainsi lié aux modalités de la déclaration plutôt qu’à la nature des revenus.
Dans le cadre de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2016, le Sénat a adopté un amendement instaurant cette franchise. Toutefois, il s'agirait finalement d'un abattement de 5 000 euros sur les revenus bruts relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Sont éligibles à cet avantage les revenus qui font l’objet d’une déclaration automatique sécurisée par les plateformes, comparable à la « déclaration pré-remplie » des salariés. L’avantage fiscal est ainsi lié aux modalités de la déclaration plutôt qu’à la nature des revenus.
Par ailleurs, les
entreprises, quel que soit leur lieu d’établissement (en France ou à
l’étranger), qui mettent en relation à distance par voie électronique des
personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de
l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service doivent désormais :
- Fournir à
l’occasion de chaque transaction une information
loyale, claire et transparente sur les obligations
fiscales et sociales qui incombent aux travailleurs qui réalisent des
transactions commerciales par leur intermédiaire.
- Fournir à
leurs utilisateurs chaque année un document
récapitulant le montant brut des transactions perçu par leur intermédiaire au cours de l’année
précédente.
- Certifier
chaque année par un tiers indépendant le respect, au titre de l’année
précédente, de ces obligations. Ce certificat doit ensuite être communiqué à
l’administration fiscale. A défaut, une amende fiscale de 10 000 € est encourue.
Ces dispositions
s’appliquent aux transactions réalisées à compter du 1er juillet
2016 et s’appliquent à l’égard des utilisateurs résidant en France ou qui
réalisent des ventes ou des prestations de services en France.
Le rapport Terrasse
Le député du parti socialiste Pascal Terrasse a remis, le 8 février 2016, au Premier ministre un rapport sur l’économie collaborative. Il écarte l’idée de créer un statut spécifique aux travailleurs de l'économie collaborative. Selon lui, « les plateformes qui s’adossent effectivement à des initiatives collaboratives abritent essentiellement des particuliers » qui mènent ces activités en « marge de leur activité principale, de laquelle ils tirent l’essentiel de leurs revenus et à laquelle est attaché leur régime de protection sociale (salarié, étudiant, retraité, etc.) ». Pour ceux « qui auraient été conduits à créer une activité professionnelle à l’appui de leur présence sur une plateforme collaborative », la plateforme s’intègrerait dans la chaîne de contrats conclus entre l’acheteur et le vendeur et donc « son rôle peut s’apparenter à celui d’un intermédiaire commercial ». Ainsi, « sauf à démontrer que la plateforme exerce sur leur activité un pouvoir de direction tel qu’elle puisse être assimilée à un employeur, les utilisateurs seront des travailleurs indépendants qui bénéficient de la protection sociale associée à ce statut ». Dans une idée d’adaptation seulement de la législation actuelle, il fait quelques propositions.
Le député du parti socialiste Pascal Terrasse a remis, le 8 février 2016, au Premier ministre un rapport sur l’économie collaborative. Il écarte l’idée de créer un statut spécifique aux travailleurs de l'économie collaborative. Selon lui, « les plateformes qui s’adossent effectivement à des initiatives collaboratives abritent essentiellement des particuliers » qui mènent ces activités en « marge de leur activité principale, de laquelle ils tirent l’essentiel de leurs revenus et à laquelle est attaché leur régime de protection sociale (salarié, étudiant, retraité, etc.) ». Pour ceux « qui auraient été conduits à créer une activité professionnelle à l’appui de leur présence sur une plateforme collaborative », la plateforme s’intègrerait dans la chaîne de contrats conclus entre l’acheteur et le vendeur et donc « son rôle peut s’apparenter à celui d’un intermédiaire commercial ». Ainsi, « sauf à démontrer que la plateforme exerce sur leur activité un pouvoir de direction tel qu’elle puisse être assimilée à un employeur, les utilisateurs seront des travailleurs indépendants qui bénéficient de la protection sociale associée à ce statut ». Dans une idée d’adaptation seulement de la législation actuelle, il fait quelques propositions.
D’abord, il faudrait améliorer la protection sociale des travailleurs de l’économie
collaborative au statut d’indépendant, y compris la protection complémentaire. Ceci s’inscrirait
ainsi dans la politique de généralisation de cette protection. Il propose ensuite
de sécuriser les parcours professionnels, dans la droite ligne des propositions
d’Alain Supiot, en raison de la forte mobilité qui touche ces travailleurs. La VAE (validation des acquis de l'expérience) ou le CPA (compte personnel d’activité) peuvent ainsi s’inscrire dans cet objectif à
condition qu'ils prennent en compte la situation de ces travailleurs pour
organiser la portabilité de leurs droits. Par ailleurs, il est conseillé aux plateformes de
mettre en place des actions de formation pour les prestataires non
professionnels. En outre, la notion
d’activité professionnelle devrait être clarifiée afin de ne pas favoriser
les plateformes collaboratives par rapport aux mêmes activités qui ne seraient
pas exercées sur Internet. Devrait également être clarifiée la distinction fiscale
entre revenu et partage de frais. Enfin, il serait
judicieux de créer un observatoire de l’économie collaborative chargé
notamment d’établir des perspectives d’évolution réglementaire.
La Commission des affaires sociales de l’Assemblée
nationale a intégré au projet de loi des dispositions relatives aux
travailleurs utilisant une plateforme « de mise en relation par voie
électronique ». Les plateformes numériques disposeraient d’une « responsabilité
sociale ». Les plateformes concernées sont celles qui fixent le prix et
les caractéristiques du service rendu par les travailleurs indépendants qui les
utilisent. Etaient précisés par le projet de loi les droits des travailleurs. Par exemple au sujet de la formation, le travailleur devait bénéficier du droit d’accès à la formation
professionnelle continue dont le coût aurait été pris en charge par la plateforme. Ils auraient bénéficiés également, comme le préconisait Pascal Terrasse, du
dispositif de VAE à leur demande. Ces deux mesures devaient s'appliquer à
condition que le chiffre d’affaires réalisé par le travailleur sur la
plateforme soit supérieur à un seuil fixé par décret.
Etait également inscrit dans le projet de loi l’accès à l’assurance
couvrant les accidents du travail, le droit au refus de travailler en raison de
revendications professionnelles, le droit de constituer une organisation
syndicale, d’y adhérer et le droit de faire valoir par son intermédiaire leurs
intérêts collectifs.
Supprimés par le Sénat, ces dispositions devraient être ré-introduites. La ministre du travail a déposé un amendement pour son rétablissement en séance, à la
demande du gouvernement, avec des améliorations. Les plateformes devraient proposer
leurs propres solutions pour assurer les travailleurs, aux moyens de contrats
de groupe par exemple. Le débat est encore à suivre.
Ces plateformes collaboratives posent ainsi des
problématiques qui sont sources de contentieux et d’activité législative. Toutefois, l’économie
collaborative ne se résume pas à cette « ubérisation »
de la société tant médiatisée. Comme le dit très justement Diana Filippova, « Uber
occulte les autres modèles de l’économie collaborative ». L’économie
collaborative peut aussi être un « élévateur social » selon Daniel
Cohen. Elle peut inciter les entreprises à se réinventer, en intégrant une nouvelle
organisation du travail. Cela vise par exemple l’accroissement du « co-working »,
nouveau modèle d’organisation des entreprises fondé sur un management plus
participatif. Cela sera traité dans une troisième partie.
- Raphaëlle
[1] Cédric
Jacquelet, Avocat, cabinet Proskaueur, « La notion de subordination face à
l’économie numérique », SSL n°1725, 30 mai 2016, p. 5.
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